Elileon ne représente qu’une partie de moi même, une branche de cet homme qui vit parmi les siens, une branche rattachée à lui mais qui ne trouve pas aisément sa place dans la vie sociale et publique en raison de sa forme intrépide et audacieuse, parfois confuse ou étrange… Une branche dont l’expression risque de déranger cette part de l’être l’humain qui se tourne naturellement vers l’ordre et la stabilité, une branche qu’il est souvent préférable de tenir à l’écart du regard des autres comme du sien si l’on souhaite pouvoir continuer à vivre pleinement avec les siens. Cette branche que je représente aime se confronter avec les profondeurs de l’esprit humain, avec la réalité invisible des émotions et de l’intimité de l’être, elle aime partir à la rencontre de la réalité et de la vérité en s’aventurant au delà des limites admises par le rationalisme et le matérialisme dominants aujourd’hui.

Mon identité prend racine dans la seconde moitié des années 90, avec la fin de l’adolescence et mes premières réflexions philosophiques sur le monde… En vrac : la matière, la vie, l’être humain, l’amour, les émotions, la société, l’histoire, l’esthétique, l’esprit, la pensée, les religions, la politique… C’est la lecture d’une bande dessinée qui se trouve à la croisée de mon émergence : L’INCAL, une série d’albums écrite par Alejandro Jodorowsky et mise en image par Moebius. C’est l’histoire du pseudonyme Moebius qui inspira l’idée de ma création.

Je n’arrive au monde réel, avec cet acte de naissance, que plus de 10 ans plus tard mais je porte ce nom depuis ma reconnaissance officielle en novembre 1999 et la création d’un compte de courrier électronique qui m’était destiné et qui resta à peu près inactif durant ces 9 dernières années. C’était une période très particulière où le spectacle médiatique apocalyptique s’intensifiait à mesure qu’on se rapprochait du mythique « AN 2000 »… La guerre du Kosovo venait d’éclater aux portes de l’Europe. Une seconde guerre en Irak se préparait. L’éclipse totale de soleil du 11 août avait fait grande impression. L’Organisation Mondiale du Commerce cherchait activement à resserrer l’emprise des grandes multinationales sur le monde en annonçant la tenue en grande pompe d’un sommet extraordinaire aux accents millénaristes, le Millenium Round. Une opposition citoyenne et alter mondialiste avait alors fait entendre sa voix avec force à Seattle, rendant palpable aux yeux de tous les tensions et les enjeux de cette mondialisation capitaliste à marche forcée. Par ailleurs, le monde entier se préparait avec inquiétude au « Bug de l’an 2000 », tandis que les rumeurs les plus folles circulaient à ce sujet. Certains « détraqués » voyaient en tout cela l’action convergente d’un gigantesque complot diabolique mené par d’obscures et antiques élites d’origine extraterrestre, les Illuminati. Les gardiens de l’ordre moral dominant, quand à eux, voyaient déjà s’annoncer le combat final de l’apocalypse et la promesse d’un Nouvel Ordre Mondial qui serait enfin capable, « avec l’aide de Dieu » et guidé par « la main invisible du marché », de garantir la paix et la prospérité pour l’humanité entière. Beaucoup, en tous cas, se préparaient à voir le monde basculer du jour au lendemain dans la violence et le chaos… je dois bien avouer que cette pensée terrifiante me traversa également l’esprit.

Je pense être né de ce sentiment que tout peut s’effondrer du jour au lendemain, ainsi que de la prise de conscience, dans un second temps, du caractère chimérique, aliénant et dangereux de tous ces messages d’apocalypse qui n’avaient souvent rien d’autre à donner pour accompagner les informations (vraies ou fausses) qu’ils distillaient dans les esprits, qu’une profonde peur du monde et de la vie. Le combat pour notre liberté et notre vie commence dans nos esprits… Il s’agit de ne pas nous égarer en de vaines spéculations intellectuelles ou gesticulations émotionnelles. Il s’agit de rester vivant parmi les vivants, de nous battre auprès de ceux qu’on aime, de défendre notre droit à exister en protégeant par nos paroles et de nos corps si nécessaire tout ce qui nous relie à la vie, à l’amour et à la joie.